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Zen et Anarchie

manifeste par défaut

Lettre ouverte à la Fédération Anarchiste

Je vous ai sollicités pour envisager d'adhérer à la Fédération Anarchiste, a  priori plus comme soutien moral tant que parti-prenant de débats, que  comme militant actif chargé des tâches de propagande et de  développement des réseaux.  
  
Dans les deux courriers que je vous ai fait parvenir, il y avait, de façon  centrale, cette mention quelque peu insolite, pour un militant anarchiste,  d'une pratique assidue bien que raisonnable du bouddhisme Zen  (bouddhisme Chan en Chine).  
  
De Lacan à Deleuze, en passant par de nombreux penseurs, le bouddhisme  Zen presque comme l'ultime Z d'un abécédaire (c'est littéralement le cas  pour Deleuze), ou comme la béance régénératrice de la vacuité dans  l'Inconscient, béance qui ne transige sur rien car elle n'a de frontières sur  rien (cela ressemble à ce que semble en concevoir Lacan), le bouddhisme  Zen est une alchimie du Haut Moyen-Âge, brute comme les matières de son  temps, qui établit une armature mental-comportemental.  
  
Sa pratique, très simple mais assidue, destitue abruptement toute  spéculation des sens et du sens, pour ne s'en tenir qu'à une assise  puissamment quiète, chevauchant au mieux une permanente espièglerie  faite de constants contrepieds, là où la vie, en contraste et en tout soupçon,  s'avère constamment impermanente.  
  
Le bouddhisme Chan / Zen est le fruit d'un millénaire d'histoire du  bouddhisme et de son grand voyage de l'Orient vers l'Extrême-Orient, dans  des cultures radicalement distinctes, et s'est constitué alors effectivement  "comme la dernière lettre Z de l'abécédaire" de la construction bouddhiste,  la lettre qui fait sens, et par laquelle tout est fin, prenant fin. 
  
Le millénaire suivant, jusqu'à notre époque contemporaine, a plutôt signifié  la normalisation et la récupération de cette pratique radicale du Zen / Chan  dans les sociétés investies, l'approfondissement de ses principes  fondateurs se faisant le plus souvent dans les marges.  
  
Le bouddhisme Zen / Chan mentionne sa filiation bouddhiste, mais plus  qu'une filiation à une doctrine ou à des contextes, qu'il évoque finalement  peu, il s'agit d'une filiation de l'éveil à l'éveil, là où "l'éveillé" se révèle au  même moment où il disparaît des tentacules multiples par lesquelles un  cadre historique ou même un raisonnement théorique voudraient le garder.

   
Finalement, puisque le chiffre zéro nous vient des arabes qui eux-mêmes le  tiennent de l'Inde, et notamment significativement bouddhiste, c'est de  "l'éveil" ou la vitalité du point zéro en toutes choses dont il s'agit.

 
Le point zéro, partout logé sans jamais ne rien déloger, est nommé vacuité  par les bouddhistes, et d'autres philosophies orientales ou extrême orientales.  
  
(rappelons ici qu'en mathématiques, tout problème doit être reformulé  relativement simplement pour égaler le zéro, pour commencer à se  résoudre et lui en trouver une ou des solutions).  
  
Et c'est là, outre le travail sur le mental et comportemental qui s'initie par la  pratique, que nous rejoignons par l'expérience du bouddhisme Zen / Chan la  vue profonde de l'anarchie, de l'évidement et du redéploiement constant de  l'anarchisme, au sein puis hors de toutes les structurations politiques et  leurs ordres de contraintes. L'anarchisme est une vacuité vivante de l'ordre politique, et même du  rapport social, il est un point zéro qu'il faut trouver et c'est un labeur.  


Il s'agit de suffisamment déconstruire les rapports de contraintes, les  rapports donnés et exigés dans la contrainte, les comprendre à l'échelle de  l'intelligence des sociétés mais aussi au fil de l'expérience sociale, du vécu  traversé, pour faire entrevoir, comprendre, sentir, ce point zéro des  politiques de vie, résoudre l'équation dans cette égalité à zéro, vivante et  vivace, en laquelle se redéployent les possibilités de réflexion et de lien  pour quiconque, singulièrement ou en masse.  
  
C'est un travail qui ne peut cesser, comme l'inspiration et l'expiration ne  peuvent cesser, chacune, et l'une à l'autre. il s'agit sans cesse :    
  • de sentir les contraintes, les rigueurs  
  • en déconstruire les notions pour arriver au point zéro, certains diraient à  une certaine virginité de l'expérience, si l'on admet néanmoins que la  virginité se retrouve et se renouvelle  
  • de ré-entreprendre l'œuvre d'œuvrer dans des modes libérés.  


Cela peut paraître abstrait mais cela ne l'est pas, au cœur de sa grande  minorité, l'anarchisme nous rappelle qu'il faut se rendre maîtres (sans  maîtres) des conditions d'organisation du travail et de la société, pour  entreprendre ce grand labeur qui nous concerne chacun.  
  
On ne peut chaque fois retrouver l'œuvre libre de la liberté que si, tout en  assouvissant les besoins et les souhaits des êtres (un bouddhiste dirait les  êtres plus que les seuls humains), on continue sans cesse de déverrouiller  ce qui veut se verrouiller, et ce qui, fort ainsi de son exclusivité, veut  imposer autour des conditions d'existence (ou parfois faire disparaître de  l'existence), au nom chaque fois de raisons ou de symboles qui substituent  la vie et le vécu.  
  
Pour ces raisons là, camarades anarchistes, pour ces raisons de soutien  moral, et pour cette perspective d'un devenir commun, le temps que sera ce devenir commun, je voudrais adhérer à la Fédération Anarchiste  francophone :  
  • pour défaire ce qui est à défaire, vers la vacuité généreuse - la nature n'a  pas peur du vide, il en est au contraire l'impulsion  
  • pour l'organisation de la vie par la vitalité qui peut être présente  • pour la satisfaction des souhaits et des besoins ainsi  
  • pour trouver à l'heure désirée la quiétude et le repos 

 

Libres à vous de me compter parmi vous, ou de me laisser libre autrement, 


Amicalement…  

Yon (Jean-Philippe Erbin)  

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Jean-Philippe (Yon) Erbin - été 2022